- une éphémère industrie briviste : La Conserve chez soi



C'est au tout début de l'année 1928 que cette entreprise a été créée à Brive par Paul Mougin, l'inventeur des produits proposés, ingénieur des Arts et Métiers, auparavant industriel à Paris. Il sera rejoint quelques temps après par Germain Crahet, ingénieur, industriel à Brive.

(Doc. delcampe.net)

L'hebdomadaire La Croix de la Corrèze présente l'entreprise dans son numéro 1811 daté du 3 juin 1928. Son rédacteur qui signe "C." est enthousiaste.

"On conserve les petits pois dans des bouteilles bien bouchées, divers légumes et fruits et les viandes dans des boites soudées, bouteilles et boîtes soumises ensuite à l'ébullition qui les "pasteurise".
Mais des bouteilles éclatent durant l'ébullition, des soudures mal faites laissent pénétrer l'eau et le produit est perdu.
Sans doute ces accidents sont rares avec les boîtes préparées par les fabricants de conserves; mais il ne s'agit ici que des conserves préparées dans les familles.
Qui n'a assisté à l'opération, d'ailleurs peu  agréable, de l'ouverture d'une boîte soudée et à l' émotion de Madame :
- Qui sait si ma conserve sera réussie ?
- Pouah ! c'est une infection !
La soudure fut mal faite et le produit est perdu.

Or ces émotions et ces pertes seront désormais évitées grâce à MM. Mougin et Crahet qui ont inventé deux récipients pour conserver : l'un, "La Conserve", en verre ou en terre pour les viandes et fruits, l'autre "La Facile", en métal, pour les légumes; les deux surmontés d'un couvercle garni de caoutchouc et retenu par des agrafes, sont fermés sans soudure et d'une étanchéité absolue.
Les agrafes sont posées avec la main et retirées de même, sans le secours d'aucun instrument. Verres, boîtes et agrafes resservent indéfiniment, ce qui ne se peut avec les boîtes soudées.
Cet article n'est pas une réclame pour un produit qui n'en a nul besoin. MM. Mougin et Crahet ont installé une usine à Brive, rue d'Espagnac, il y a cinq mois à peine; ils y occupent soixante personnes et ils ne peuvent satisfaire toutes les commandes.
C'est à titre de renseignement et pour saluer une nouvelle industrie briviste que nous signalons cette fabrique. Elle est dans un vaste hall bien éclairé et bien aéré.

Les ouvrières au travail, en train de fabriquer les boîtes métalliques.
(La Croix de la Corrèze n° 1811 du 3-06-1928 - Cliché Chaussade - Doc. AD19 cote 68Pr 25)

Elle est fort curieuse, la fabrication d'une boîte à conserves. N'imaginez pas qu'un ouvrier ou une ouvrière s'empare d'une feuille de fer blanc et achève la boîte. Celle-ci passe entre les mains d'une vingtaine de personnes, dont chacune commande une machine. Il faut découper la feuille, en arrondir les angles, donner la forme cylindrique, souder dans le sens de la hauteur, fixer le fond de la boîte (ceci sans soudure), modeler le bord supérieur afin que le couvercle s'y incruste, modeler le couvercle lui-même et y fixer une rondelle de caoutchouc, etc...
Et tout ceci est fait avec une telle vitesse qu'entre les mains de chaque opérateur passent plusieurs milliers de boîtes par jour ! Pour les agrafes, c'est encore mieux : elles sont découpées et polies par des machines sans le concours de personne !
Évidemment, la fabrication des boîtes à conserve n'est pas le fin du fin de la mécanique : elle est ingénieuse tout de même. Surtout elle fournit du travail à un groupe sympathique d'ouvriers et d'ouvrières et à ce titre il faut louer MM. Mougin et Crahet d'avoir installé leur usine à Brive, et nous leur souhaitons plein succès".

Il est temps pour nous d'apporter quelques précisions. L'usine de Messieurs Mougin et Crahet se situait 2 rue d'Espagnac. Il n'en reste aucune trace aujourd'hui. Nous pensons que c'était à l'emplacement où a été construit bien plus tard le gymnase de l'école Louis Pons. Les bâtiments où ils se sont implantés sont vraisemblablement ceux que nous avons cerclés de rouge sur une photographie aérienne prise 4 ans plus tôt, en 1924.

Doc. Remonter le Temps/IGN (cliché 36 du 24-4-1924)

Nos deux entrepreneurs avaient très tôt compris l'importance de la "réclame", notre "publicité" d"aujourd'hui. Elle était déclinée sous des formes nombreuses et variées : insertions de demi-pages ou même de pages entières dans la presse régionale, multiplication de dépliants distribués un peu partout, création d'un journal à destination des ménagères... En voici quelques spécimens.





































(Doc. delcampe.net et Gallica/BNF - cliquez sur les images pour les agrandir)

L'entreprise se paiera aussi le luxe d'affréter un superbe camion publicitaire qui sillonnera sa zone d'influence. Dans la photographie qui suit, on le voit sans doute quelque part dans l'est de la France, entouré d'une belle équipe de personnages que l'on désignerait aujourd'hui sous le vocable de "commerciaux".

(Doc. delcampe.net)

Si bien que l'affaire va se développer très rapidement et permettre d'ouvrir jusqu'à 17 succursales ou points de vente en France : à Paris (19 rue de la Verrerie et 102 rue Petit), Metz (place de la Cathédrale), Nancy (8 rue Saint Jean), tout d'abord, puis à Nantes (4 place du Commerce), Lille (4 rue Bleu-Mouton), Dijon 82 rue du Faubourg-Raines), Marseille (197 avenue du Prado), Bordeaux, Avignon, Toulouse ..., avec 3 usines de fabrication. Elle aura des accords commerciaux privilégiés avec la Société anonyme des Verreries de Trois Fontaines et de Femme (Sarre) qui fournissait les bocaux de verre conçus par Paul Mougin, ainsi qu'avec la Société anonyme du chocolat Tobler qui produisait la poudre chocolatée et sucrée Tobana pour petit déjeuner et gouter.

La Société anonyme La Conserve chez soi demandera l'introduction de ses actions aux bourses de Paris, Nancy et Bordeaux.

Une action de la Société La Conserve chez soi (doc. delcampe.net)

Le site de la rue d'Espagnac deviendra vite trop petit, si bien que l'entreprise devra déménager aux Bordes, dans les vastes locaux qui, dix ans plus tôt, avaient été ceux de la Société Tissot, Escande et Brossard, que nous avons largement présentés sous le titre "L'autre usine des Bordes", ici : CLICK (à noter cependant que Jean Escande oubliera La Conserve chez soi lorsqu'il donnera la liste des entreprises avant succédé en ces lieux à T.E.B.).
Cent-trente personnes, ouvriers et employés, y travailleront désormais, dans des locaux rénovés et agrandis pour leur utilisation nouvelle, sur un terrain de 10 000 mètres carrés !
La Croix de la Corrèze consacrera un nouvel article à La Conserve Chez soi dans son numéro 1936 du 2 novembre 1930. Le journal salue le développement spectaculaire de l'entreprise :
[...] "Le succès a confirmé nos prévisions. En voici la preuve péremptoire : le chiffre d'affaire de La Conserve chez soi qui fut en janvier 1928 de 38.616 francs s'est élevé en janvier 1930 à 1.152.824 francs; il approche aujourd'hui les 2 millions par mois. La société qui débuta il y a 3 ans avec 100.000 francs, est aujourd'hui au capital de 7 millions !" [...]

C'était trop beau pour durer ! Développement trop rapide et mal maitrisé, erreurs de gestion ? On ne sait. Toujours est-il il que, dans" La revue coloniale" de février 1931, nous avons retrouvé dans une rubrique dédiée l'annonce de la faillite de cette si belle industrie briviste, à la suite d'un jugement en date du 13 janvier :

(Doc. Gallica/BNF)

L'entreprise aura donc vécu 3 ans seulement. Elle sera reprise, au moins partiellement. Le document qui suit, non daté, mentionne la Société ODIV comme propriétaire et successeur de La Conserve chez soi. Son siège se situait 6 rue des Archives, dans le 4° arrondissement de Paris, mais le magasin de vente et de démonstration était 19 rue de la Verrerie, à l'adresse exacte de la principale ex-succursale parisienne de l'entreprise de Paul Mougin et Germain Crahet.

(Doc. delcampe.net)

(18 septembre 2019)
Commentaires