2 - une superbe action des Résistants corréziens, aidés de ceux de la Dordogne (26 juillet 1944)

Le texte qui suit est extrait du numéro spécial du journal de BRIVE-INFORMATIONS, édité le 15 août 1954 à l'occasion du dixième anniversaire de la Libération de Brive. Précisons que l'article n'est pas signé.
Le récit en question rapporte des événements qui restent bien présents dans le souvenir des "vieux" brivistes, et dont plusieurs versions ont été rendues publiques. A noter que dans celle-ci, la date indiquée est peut-être erronée : la plupart les situent le 8 août 1944, et non le 26 juillet (voir aussi la note tout à fait en bas de cette page).

DES CHEMINOTS DE BRIVE

AIDÉS PAR DES FRANCS-TIREURS DE LA CORRÈZE ET DE LA DORDOGNE
RÉALISENT L'EXPLOIT D'ENLEVER
UN TRAIN COMPLET AUX ALLEMANDS

Parmi les innombrables coups de main dont la ville de Brive fut le théâtre, au cours de l'occupation, il en est un qui mérite d'être cité.
C'est en effet le type même de l'action rapidement conçue, montée avec précision, et couronnée de succès.
Voici donc comment le 26 juillet 1944, fut enlevé à l'ennemi un train complet de matériel contenant notamment 16 canons de 25 mm. et 100 tonnes de vivres.

Le 20 juillet 1944, le Commandant de la 23-19° compagnie, dont le P.C. se trouve à une quinzaine de kilomètres de Brive, reçoit des renseignements importants. On lui signale la présence en gare de Brive d'un convoi composé de 37 wagons en instance de départ pour l'Allemagne.
Dans une partie de ce convoi bloqué à Brive par la rupture des communications ferroviaires, il y a 16 canons de 25 mm et 100 tonnes de vivres. Dans l'autre ont pris place 200 spécialistes de la Manufacture d'Armes de Tulle, déportés du travail.
La décision est prise de tenter un coup de main pour enlever à l'ennemi ce matériel important qui permettrait, par la suite, d'entreprendre des actions offensives d'envergure.
Devant l'ampleur de cette affaire, contact est pris avec d'autres formations de la Dordogne, qui apporteront leur appui et fourniront leurs camions.
Le coup de main est fixé au 26 juillet 1944 à 6 heures. Au jour dit, les routes se trouvant de part et d'autres de la voie ferrée Brive-Paris sont solidement tenues. En cas d'échec, plusieurs bataillons en réserve attaqueront les postes allemands au nord de Brive en vue de faire diversion et de permettre la destruction des canons.
Le 25 au soir, 5 hommes quittent en voiture le P. C. de la compagnie et se rendent au dépôt SNCF d'Estavel, avec mission d'y enlever une machine de manœuvre qui, tous les deux jours, monte en gare de Brive, vers 4 h 30.
Mais laissons la parole à l'un de ces hommes :
"Nous devions nous servir de cette machine pour enlever le convoi. Au passage à niveau d'Ussac, la garde-barrière qui avait l'habitude de voir passer souvent les gars du maquis nous avertit que les allemands effectuent des barrages pour arrêter les aviateurs de la compagnie de guet 14/72. Ceux-ci qui étaient cantonnés à Brive viennent en effet rejoindre la résistance. Nous laissons la voiture à la barrière, et prenant à travers champs, nous rejoignons Estavel. Nous pénétrons à l'intérieur du dépôt vers 21 heures environ.
4 h 30 : la machine de manœuvre est prête. Nous approchons. Nos regards fouillent l'obscurité, tout est normal. Nous montons sur la
machine; le mécanicien et le chauffeur, qui nous connaissent - car nous sommes tous des cheminots - n'ont pas lieu de s'étonner. La machine sort lentement du dépôt.
A peine sortis, nous échangeons quelques mots brefs et nous expliquons au mécanicien et au chauffeur pourquoi nous sommes là. Leur réponse est instantanée : "D'accord". Arrivés au poste "A" d'aiguillage, Marceau descend seul. Il doit s'emparer de l'aiguillage et faire exécuter les manœuvres dont nous avons besoin pour faire sortir le train.
Arrivés à la hauteur du poste "B", Louis descend à son tour, avec mission identique à celle de Marceau. Max et Marc restent avec moi. A nous trois nous devons enlever, à la barbe des boches, le convoi. La chance nous favorise : déjà une machine s'y trouve accrochée. Nous montons sur cette machine. Le mécanicien et le chauffeur sommeillent, assis sur leur escabeau. En quelques paroles, je leur explique ce que nous avons décidé de faire. Ils me répondent "nous sommes prêts". Effectivement la machine est prête à partir. Je passe à l'avant et ferme la clé d'air de la conduite des freins, afin d'éviter que le train ne soit bloqué au cas où quelqu'un tirerait sur le signal d'alarme. Soudain, à quelques pas de moi une lumière brille et se dirige dans ma direction. Je me renfonce dans l'ombre; quand la lueur arrive à ma portée, je mets le révolver sous le nez du porteur de lanterne : il se pourrait fort bien, en effet, que ce fut un cheminot allemand, mais c'est un français : tout va bien.
Nous partons doucement pour ne pas donner l'éveil à l'ennemi, car la milice est en face de nous et la Kommandantur aussi. Le train se trouve sur la voie n° 3, sous la marquise. Deux canons de 25 sont braqués sur nous et les allemands ont l'ordre de tirer en cas de départ du train en direction de Limoges.
Pourtant nous roulons. Rien ne bouge. nos yeux brillent, le plus délicat est réussi. Le train est sorti de la gare sans donner l'éveil à l'ennemi.
Après avoir passé le pont de la route de Varetz, nous sommes protégés par les gars de la 23-19° compagnie. Le lieutenant Alain est là avec eux, et, de chaque coté de la voie, les fusils mitrailleurs sont en place, prêts à faire feu si les boches veulent tenter de récupérer leur bien.
Une pensée nous harcèle : "Hercule" est-il présent au rendez-vous?

A-t-il les camions indispensables pour nous aider à enlever tout le matériel ?
5 h 45 : nous arrivons en gare d'Ussac avec un quart d'heure d'avance. Un magnifique tableau s'offre à nos yeux : près de quarante camions sont là, tous en marche.
Alentours, un millier de gars des maquis de la Dordogne et de la Corrèze sont prêts à enlever les canons et le ravitaillement.
Les ouvriers de la Manufacture se sont réveillés et sont stupéfaits. Ils réalisent difficilement, le nez à la portière des wagons, le changement de décors.
Tout le monde se met au travail avec ardeur, dans un ensemble de bruits assourdissants et au milieu d'un nuage de poussière.
Il faut démonter, un à un, les 16 canons pour les sortir, car les portes des wagons sont trop petites. Une fois remontés, ils sont pris peu à peu en remorque par les camions.
Puis c'est au tour des 100 tonnes de ravitaillement à être déchargées puis embarquées dans les camions. Il y a là des sacs de farine, de riz, de café, de sucre, de lentilles, de haricots, de pois cassés, des barriques de vins divers et de rhum, des caisses d'Armagnac et de chocolat, des fûts de graisse, des milliers de couvertures et de sacs de couchage, un important matériel de campement et une roulante.
Tout cela est entassé avec rapidité sur les camions, dans un enthousiasme indescriptible. Chantant à pleins poumons, les belles chansons du Maquis de France, tous s'en vont, heureux et fiers, vers leurs retraites.
Sur leur passage, acclamés par la population, ils distribuent le chocolat aux gosses de nos campagnes.
A 10 heures, l'opération est terminée.
A 11 heures, les embuscades sont relevées.
Peu après plusieurs camions allemands arrivent à la gare d'Ussac.
Un officier allemand descend de l'un d'eux et demande au chef de gare s'il a vu passer le train. On lui répond que le train a été déchargé là et renvoyé vide à son point de départ, à la faveur de la pente douce qui descend vers Brive.
L'officier allemand demande alors :
- "Ils étaient nombreux les maquis ?"
- "Plusieurs milliers !"
Alors l'allemand hoche ta tête :
"Pire qu'à Chicago", conclu-t-il. Et il s'en va.




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