- L'Affaire de la Caisse d'Epargne (février/mars 1934)


 
Préambule :

La Caisse d'Epargne de Brive aurait été créée par ordonnance royale du 23 décembre 1835 et ouverte au public le 3 juillet 1836.
Après avoir été hébergée dans une pièce de la mairie d'alors, puis implantée rue de l'Hôtel de Ville, elle avait rejoint de nouveaux locaux, construits selon des plans de l'architecte Debièvre, au bas de l'avenue de la Gare, à l'angle du boulevard de la République (boulevard Edouard Lachaud). 

En 1934, l’Écureuil n'avait pas encore pointé son museau dans l’entrebâillement de la porte de la Caisse d’Épargne de Brive. C'était alors un établissement municipal géré par un conseil d'administration de 15 directeurs (notables ou élus, tous bénévoles) et présidé par le Maire de la Ville, Henri Chapelle à cette époque là.
Seule une poignée d'employés y travaillait.

Le projet de construction du nouveau siège de la Caisse d'épargne de Brive, tel qu'il avait été conçu en 1906
(Doc. delcampe.net)


Venons-en maintenant à notre sujet lui-même : l'Affaire de la Caisse d’Épargne. Précisons qu'avant de décider de le traiter nous avons pris quelques précautions, celle en particulier de vérifier que le principal mis en cause n'avait eu aucune descendance.
Tous les journaux qui nous ont permis de retracer cette affaire ont été consultés aux Archives départementales de la Corrèze.


En 1934, la Caisse d’Épargne de Brive était dirigée par Jean-Baptiste Ruffin, qui avait en outre le titre de Caissier principal. Il était âgé de près de 69 ans.

Jean-Baptiste Ruffin vers 1906
(D'après Le Courrier du Centre - AD19 cote 2-371)

Une personnalité dans Brive ce Monsieur. Il était né le 28 août 1865 à Sarlat (24). Ancien adjudant d'infanterie coloniale, il avait pris sa retraite en juillet 1900. Il fut ensuite sous-économe à l'hospice de Brive, puis Directeur de la Caisse d’Épargne. Il ajouta à ces fonctions celle d'administrateur des autocars de Rocamadour-Padirac, puis de la S.T.A.P.O. (Société de Transports Auxiliaires du réseau de Paris-Orléans, une autre compagnie d'autocars) à Brive.

Devant le Théâtre municipal, un autocar de la S.T.A.P.O., à laquelle le Garage Taurisson adhérait.
(Doc. Pierre Taurisson/Archives familiales)

Il était aussi Fondateur et Président de la section locale de la Société de Géographie Commerciale, et son administrateur au niveau national, Président du Syndicat d'initiative, Secrétaire de la revue littéraire La Brise, Trésorier de la Société scientifique, historique et archéologique de la Corrèze, et membre du conseil d'Administration de plusieurs autres associations.
Il était titulaire de la Médaille militaire depuis 1899 et Officier d'académie depuis 1904. Il avait été nommé Chevalier de la Légion d'Honneur par décret du 25 août 1921 du Ministre de l'Instruction Publique, en sa qualité de Secrétaire général de la Société de géographie commerciale de Paris. La décoration lui avait été remise le 27 septembre 1921 par son parrain briviste, le docteur Priolo.
Fort sympathique, dit-on, il comptait beaucoup d'amis.


*

La rumeur courait et enflait dans la ville depuis un moment déjà, et beaucoup de brivistes s'interrogeaient et même s'inquiétaient sérieusement. C'est le quotidien Le Petit Gaillard qui a mis le feu aux poudres dans son numéro 704 du 24 février 1934, par l'intermédiaire d'un tout petit entrefilet, totalement énigmatique pour une partie de la population.

(Doc. AD19 cote 102Pr 5)

L'affaire va alors se précipiter et c'est quatre jours plus tard, dans son numéro 708 du 28 février que le même journal lâchera le morceau et annoncera en même temps en quelques lignes, son immédiate issue dramatique. Toute la presse locale s'empare de l'affaire : non seulement Le Petit Gaillard, mais aussi La Croix de la Corrèze, le Corrézien, le Courrier du Centre, et d'autres titres. Lisons quelques extraits de La Croix qui, dans son numéro 2110 du 4 Mars, résume bien la situation.

"Depuis quelques jours on parlait de détournements commis à la Caisse d’Épargne municipale de Brive. Mercredi matin, de nombreux déposants retirèrent leurs fonds. Vers deux heures de l'après-midi, on apprit que M. Ruffin, directeur de la Caisse, s'était suicidé. Alors ce fut l'affolement : la Caisse d'Épargne est assiégée.

La Caisse d’Épargne au moment de la panique.
(La Croix n° 2110 du 4 mars 1934 - Doc. AD 19 cote 68Pr 31)

Bientôt une affiche du conseil d'administration, signée de M. le maire, avoue que M. Ruffin, reconnu coupable d'avoir détourné de la Caisse d’Épargne 90 000 francs, d'ailleurs remboursés, a été mis en demeure de démissionner immédiatement. On ajoute que l'avoir des déposants confié à la Caisse des dépôts et consignations est garanti par elle, et qu'il n'y a pas lieu de s'alarmer. Mais en deux jours 273 déposants ont retiré 1 800 000 francs. La Caisse d’Épargne compte près de 20 000 déposants et un avoir de près de 60 millions.
M. Ruffin, affolé mercredi matin par l'annonce d'inspecteurs qui devaient venir vérifier ses comptes, était parti aussitôt pour sa propriété de Saint-Orse, près de Thenon (Dordogne) et après avoir adressé une lettre à sa femme restée à Brive s'était pendu dans une grange.
[Il avait auparavant pris la précaution de brûler les principaux livres comptables de l'établissement].
[...]  On ne s'explique pas comment M. Ruffin, qui cumulait avec deux retraites, plusieurs  traitements avantageux - dont 20 500 francs de la Caisse d’Épargne et le logement - qui n'avait pas d'enfants et paraissait avoir un train de vie modeste, put arriver à manquer de sommes importantes, au point d'être ces derniers temps obsédé par une situation inextricable, et enfin acculé au suicide.
Sans parler des déposants inquiets pour leur argent, à tort du reste, cette fin tragique d'un homme estimé jusqu'à ce jour a causé dans le public une vive impression".






Deux vues

de la Caisse d’Épargne

de Brive.

Le Directeur était logé

au premier étage.

(Doc. delcampe.net)












Avec pour sous-titre "Un passé chargé", le journaliste Pierre Chastrusse (qui écrivait à la fois dans le Petit Gaillard et dans La Croix) poursuit par de nouvelles révélations, en évoquant d'autres détournements qui auraient pu être faits auparavant par M. Ruffin : 45 000 francs en 1931, 70 000 francs en 1933 (remboursés après de sérieux avertissements du Comité des Directeurs), et une somme d'un montant de 90 000 francs en janvier 1934. Toujours selon La Croix, d'autres sommes importantes auraient été détournées au détriment de la Société de géographie commerciale et du Syndicat d'initiative.
Une hypothèse a été formulée par le journal pour expliquer ces malversations : des placements hasardeux en bourse effectués par Ruffin, qui se seraient révélés désastreux. D'autres ont parlé de "quelques minutes d'égarement dont il n'était pas responsable" ou bien "d'une déficience cérébrale qui explique amplement les défaillances qui lui ont été reprochées", ce qui lui permettra d'obtenir des obsèques religieuses célébrées en l'église de Thenon.

L'affaire se compliquera encore d'une polémique, lorsque des journaux vont accuser certains de leurs confrères d'être responsables par leurs révélations du suicide de Ruffin. Plus encore lorsque la Croix de la Corrèze publiera dans son numéro 2111 du 11 mars une longue lettre ouverte, dans laquelle la responsabilité personnelle du maire de la commune, Henri Chapelle, président du Conseil d'administration, était mise en cause avec virulence, pour n'avoir pas pris les mesures qui se seraient imposées lorsqu'il fut mis au courant des premiers détournements, et avoir plus ou moins tenté de les dissimuler. Il est vrai qu'en février 1934 on était à la veille d'élections cantonales où il était candidat, et ce n'était pour lui pas le moment d'étaler l'affaire sur la place publique. Il la confirmera dès son élection acquise.

Henri Chapelle, Maire de Brive, dans La Revue Limousine du 20 septembre 1926.
(Doc. Gallica.BNF)

Pris à partie par son opposition, l'affaire avait été naturellement évoquée au Conseil municipal et avait donné lieu à une séance épique le 2 mars au cours de laquelle les insultes avaient volé bas.

Gravure illustrant un calendrier de la Caisse d’Épargne en 1958.
(Doc. delcampe.net)

Plusieurs plaintes seront déposées. Nous ignorons le résultat de l'enquête officielle, et si un procès a eu lieu, malgré le suicide de Ruffin.
Ainsi que le signale Le Petit Gaillard dans son numéro 713 du 7 mars, l'affaire sera l'occasion de promotions parmi les quelques employés de la Caisse.

Les promotions (Doc. AD 19 - cote 102Pr 5)

Par la suite, histoire d'informer au mieux la population, les différents journaux reprendront la publication régulière des bilans comparés des versements et des remboursements effectués aux guichets de l'établissement.

Les bilans publiés dans les numéros 2113 du 25 mars et 2137 du 9 septembre 1934
de la Croix de la Corrèze (Doc. AD 19 - cote 68Pr 31)

Ainsi la confiance envers la Caisse d’Épargne municipale de Brive revenait-elle peu à peu.

Un vieux livret de la Caisse d’épargne de Brive.
(Doc. delcampe.net)

(15 mars 2020)
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